mercredi 4 avril 2018

15 - Orphelin implaçable


  30 avril. C'est peu dire que l'affaire Monlorné déclencha un raz-de-marée dans la presse. Les journalistes eurent tôt fait de faire le lien avec les multiples décès des héritiers potentiels, ainsi qu'avec l'affaire Omar.
    Cependant, certaines morts tardèrent à être intégrées au système, comme celle d'Anne Vormol, un fait divers sordide qui n'avait fait l'objet que d'un entrefilet dans la presse locale, et celle de Vona Mornel, devenue Régina à la scène, aussi personne ne vit le schéma numérique suivi par les morts.

  Si les journalistes s'enlisèrent dans de stériles spéculations, la mise au grand jour de l'affaire permit d'apporter de nouveaux éléments à l'enquête, et particulièrement de dénicher trois nouveaux héritiers potentiels.
  Nolven Amor se fit connaître lui-même, proclama qu'il renonçait à l'héritage, et fit officialiser la chose en se rendant aussitôt à Caen pour signer chez le notaire Lepertuis les documents établissant sa renonciation irréversible à tout droit à l'héritage, documents qui furent publiés dans la presse.
  C'était un artiste peintre, fils d'un Espagnol et d'une Galloise, qui avait obtenu la nationalité française au consulat de Cardiff en 1891, ce qui pouvait expliquer comment il avait échappé aux investigations.

  Ensuite, il y avait Morvan Léon, un jeune homme qui avait été ce qu'on appelle un enfant lupin. Il avait été découvert dans une forêt du Morvan le 10 novembre 1887, le jour de la Saint Léon. Il vivait nu, se nourrissait de fruits et de rapines dans les fermes alentour. Il avait environ une dizaine d'années, et il fut impossible d'établir comment il en était venu là, ni depuis combien de temps. S'il avait jamais reçu une quelconque éducation, il n'en restait nulle trace, et le gamin ne s'exprimait que par de rauques éructations.
  Il fut d'abord recueilli par le petit orphelinat d'Autun, lequel s'avéra vite peu adapté pour ce sauvage qui mordait lorsqu'on essayait de le laver, et il fut transféré à Roanne, où il y avait un établissement spécialisé dans les fortes têtes.
  Puis un médecin de Narbonne s'intéressa à son cas, s'évertua pendant deux ans à lui inculquer quelques rudiments d'éducation, connut quelques succès, mais la tâche était si épuisante qu'il confia de nouveau le gamin à l'administration, laquelle ne savait que faire de cet adolescent au physique ingrat, à l'intelligence sous-développée, toujours mutique. Il appartenait à la catégorie dite des "orphelins implaçables", ceux qui n'avaient aucune chance d'adoption. Il fut alors imaginé de l'envoyer à Oran. Les colons français avaient défriché en Algérie d'immenses domaines qui nécessitaient une main d'oeuvre considérable, mais ils n'avaient aucune envie d'employer ce garçon bête et indolent qui risquait de donner le mauvais exemple aux autochtones largement privilégiés à l'embauche, car ils acceptaient des salaires de misère pour trimer douze heures par jour sous un soleil écrasant.
  Il se trouva cependant qu'un limonadier marseillais, venu à Oran pour acheter sur pieds de futurs cépages, passa par hasard par l'orphelinat et remarqua le gamin qui éveilla aussitôt sa compassion. Il l'adopta, le ramena dans ses bagages, et l'employa dans son estaminet.
  C'est lui qui avait fait connaître à Maître Lepertuis la situation de l'orphelin, lequel savait à peine lire et écrire, et ne parlait toujours pas.

  Enfin, un autre cas fut signalé par le brigadier Pierre Volcan, maintenant à la retraite, lequel avait eu à s'occuper plus de 30 ans auparavant d'une étrange affaire.
  Le 20 janvier 1877, une roulotte avait entièrement flambé dans un camp de gens du voyage, près d'Arles. Le couple qui y vivait, les Navrom, avait péri, mais on n'avait retrouvé nulle trace de leur fils, Noël, âgé de deux ans. Les Navrom s'étaient attirés des inimitiés parmi leurs congénères, car ils avaient joué la carte de l'intégration et étaient devenus officiellement Français, alors que la plupart des romanichels restaient des apatrides, relevant d'un statut spécial.
  L'enquête de 1877 n'apporta aucun élément sur ce qu'avait pu devenir le petit Noël, et voici ce qu'écrivait Volcan: "A Rabouinville, personne ne parlait aux gadjé, et encore moins aux flics."

  Maître Lepertuis avait reçu d'autres candidatures à l'héritage, mais toutes jusqu'ici semblaient fantaisistes.
  Je m'étais pris à réfléchir. Nous connaissions déjà 15 personnes répondant aux conditions édictées par Monlorné, dont seules deux étaient encore vivantes, Omar el Vonn et Vernona Ölm. Si les trois nouveaux candidats devaient seuls être retenus, nous arriverions au total de 18, un nombre qui était essentiel à Marvel Noon, avec ce millésime 1908 égal à 18 fois 106, la période de 106 ans correspondant aux vies de Rosencreutz comme de Monlorné... Cette affaire offrait des abîmes si insondables qu'il m'arrivait de douter des capacités du cortex de HV pour les élucider.

  Le fait notable de ce 30 avril était que Morvan Léon avait reçu la veille le carton fatidique, et il portait à nouveau le message AMOR-N, réduisant à néant l'idée de HV suivant laquelle on aurait commencé avec Vona Mornel une nouvelle série de 12 LOVE-N.
  Il avait été veillé avec le plus grand soin à ce que rien à propos de ces cartons ne filtrât vers la presse.

  Donc nous nous préparions à prendre le P-L-M de nuit pour Marseille, ayant cette fois choisi un express qui ne s'arrêtait qu'à Lyon. C'était le premier mai qu'était menacé l'orphelin, et HV avait proféré à cette occasion une de ces phrases bizarres qu'il me semble devoir rapporter ici:
- Eh bien, nous allons devoir travailler le premier mai!
  Ne travaillions-nous pas tous les jours d'arrache-pied depuis le début de l'affaire?

  Le fiasco d'Ambrumésy, après nos autres échecs, avait déclenché un changement de stratégie, et Seurcé avait décrété que désormais un de ses agents nous accompagnerait lors de nos prochaines interventions auprès de victimes potentielles. C'était assez naturellement qu'avait été désigné pour cette mission Victor Chalin, l'inspecteur à l'origine de la découverte des anagrammes.

  HV avait réservé deux compartiments d'un sleeping de première classe, un pour lui et Chalin, un pour Hortense et moi. Rose-Andrée avait été invitée à venir, mais elle avait refusé, et déclarait ne plus vouloir entendre parler de cette affaire. Elle ne nous avait visiblement pas pardonnés d'avoir été incapables d'empêcher la mort de Norm.
  L'express roulait depuis deux heures. Nous continuions à deviser, Hortense et moi, confortablement installés dans nos couchettes, lorsqu'on frappa à la porte du compartiment. C'était HV qui nous déclara:
- Cet animal d'inspecteur ronfle, et fait plus de vacarme à lui seul que le grand plenum de la Triacontade. Je me demandais si je pourrais utiliser une de vos couchettes?
  Comment refuser? HV avait avec lui un livre, qu'il posa soigneusement sur une tablette avant de défaire une couchette libre.
- Vous voyez, les enfants, j'ai lu l'essai de Manon Revol, La nuit de l'anagramme, et ça m'a conduit à relire La Chartreuse de Parme, alors qu'en principe je ne relis jamais un livre, mais elle m'a révélé d'autres niveaux de lecture, nécessitant de reprendre le texte.
"  Elle insistait sur l'Avertissement en tête du livre, daté du 23 janvier 1839, le jour des 56 ans de Stendhal, et ce court passage semble étrangement riche d'échos avec notre affaire.
"  Stendhal commence par nous dire que ce qu'il appelle une "nouvelle" a été écrite en 1830, à 300 lieues de Paris, à Padoue, et qu'il s'agit d'une histoire réelle.
"  Ensuite, il parle curieusement de 200 lieues,
D’ailleurs il me semble que toutes les fois qu’on s’avance de deux cents lieues du midi au nord, il y a lieu à un nouveau paysage comme à un nouveau roman. 
et voit ses personnages bien éloignés des "caractères français, lesquels aiment l’argent par-dessus tout et ne font guère de péchés par haine ou par amour." Haine et Amour, ça ne vous dit rien? et avez-vous songé que Marseille est précisément à presque exactement 200 lieues de Paris?"
- Peut-être, HV, mais les 200 lieues de Stendhal sont probablement calculées selon les latitudes respectives de Paris et Padoue, et à Marseille nous n'allons pas être à 200 lieues au sud de Paris, mais plutôt à un peu plus de 150.
- Certes, Alban, pour la deuxième partie de votre remarque, mais je crois que vous ne visualisez pas bien la géographie de l'Italie, où Padoue, ou Parme puisque c'est là que se déroule l'action, est plus proche de Paris selon les latitudes que Marseille.
"  Donc je ne sais ce que voulait dire Stendhal, mais je remarque que de son temps il fallait plusieurs jours pour faire un voyage de 200 lieues, dans des conditions éprouvantes, alors qu'aujourd'hui, vos voyez, nous avons pris ce soir un sleeping à Paris et nous nous réveillerons demain matin à Marseille, lieu d'un nouveau paysage!, d'un nouveau roman!, de l'amour!, de la haine!"

  Nous dormîmes profondément jusqu'au matin, bercés par les tressautements des bogies. Hortense s'extasia en découvrant la Méditerranée, au sortir d'un tunnel...
  L'express entra en gare Saint-Charles à 8 h 13, exactement à l'heure prévue. Un inspecteur de la Sûreté marseillaise nous attendait, il nous conduisit à un tramway, et nous annonça fièrement qu'il allait nous mener directement chez l'employeur de Morvan Léon.


  Ce limonadier, qui se nommait Pancrace Lhormond, tenait boutique sur la Corniche, non loin du centre de la ville, au numéro un du boulevard Véran, et avait un accent méridional prononcé.
- Tè, je vous attendais, et je vous ai préparé un petit en-cas pour vous refaire une chanté. Je vous chers un pachtiche pour commencher, rien de tel pour remettre le coeur en plache qu'un bon petit verre de Pernod après un long voyage.
 Il chuintait aussi, faut-il le préciser, ce grand homme corpulent à la face vultueuse, habillé d'un tablier de coutil. Son établissement se nommait BAR ONE, et l'enseigne, juste au-dessus du numéro un de la voie, était illustrée, ironiquement ou non, d'un poisson. Six tables et des chaises encombraient le trottoir, seuls deux clients y étaient assis. Le patron nous fit entrer dans la salle.
- Sans bellicisme aucun à l'égard de vos sympathiques coutumes, fit HV aimablement, je crois que nous préfèrerions du café, et peut-être du thé pour Hortense, avec des croissants.
- Mes amis, vous cherez chervis comme vous le désirez, mais, comme nous disons, trop tard il n'est jamais.

  Lhormond louait quelques chambres à l'étage, et nous y installâmes nos maigres bagages.
- Je regrette maintenant de m'être préchipité pour annoncher que notre pauvre pitchoun pouvait hériter de tout chet argent. Che n'est qu'enchuite qu'il a été révélé l'achachinat de toutes ches perchonnes, et chi j'avais chu cha, j'aurais gardé le chilenche.
"  Croyez-vous que vous pourrez le protéger? J'ai chi peur de le perdre, je prie chaque jour notre Bonne Mère et la Chainte Croix."
  Personne ne lui avait dit que c'était précisément ce premier mai que son fils adoptif était au premier chef menacé, et HV se garda de commettre cet impair.
- Je vous assure que nous ferons tout notre possible, mais il faudrait qu'il reste ici, ce serait plus sage.
- Mais Léon chort tous les jours un peu avant midi, pour aller déguchter chon dîner au jardin Valmer, et on ne peut quand même pas l'enfermer. Chela vient de chon enfanche, ch'il ne pache pas chaque jour un moment parmi des arbres, il devient comme fou, mais ch'est pas loin, juchte un peu plus de chinq minutes, en chuivant la Corniche. Il ne rechte pas longtemps, il revient nous aider pour le coup de feu, à midi et demi.
- Bien, mais nous le surveillerons, en espérant qu'il ne se passe rien d'anormal.

  Nous redescendîmes dans la salle, où une robuste matrone était en train d'astiquer les tomettes, à genoux.
- Je vous présente mon épousée, Chiboulette, chouvent occupée à chon ménage.
  Ciboulette se releva, s'inclina, nous conduisit à une table où café et thé fumants étaient accompagnés de mets appétissants, et attendit pour s'asseoir elle-même que nous fussions tous assis.
- Le petit n'est pas encore levé, dit-elle, il n'est pas du matin, le pitchoun, et il n'est pas du soir non plus, c'est toujours le premier à quitter la table.
" Faut dire qu'il n'a pas eu une vie facile avant de nous trouver, le pauvret. Avec nous, il est plus heureux qu'il ne l'a jamais été, et il nous en est reconnaissant. Je crois que nous avons été les premiers à communiquer vraiment avec lui, car si le langage lui fait défaut, il peut se faire comprendre autrement, et son histoire semble vraiment très étrange. Il peut écrire par exemple, bien que ça lui soit difficile. Figurez-vous qu'apparaissent parfois des mots en allemand dans ses gribouillages maladroits, mais comment aurait-il appris l'allemand, c'est un réel défi.
"  Léon semble imaginer que quelqu'un le poursuit partout, depuis toujours, un homme en noir qu'il aurait aperçu à plusieurs reprises près du bar, qui serait même venu une nuit dans sa chambre, mais son histoire est très emmêlée..."
- Attenchion, le voilà!

  C'était un garçon mal poussé, que la nature avait disgracié. En se dandinant sur ses courtes pattes, il nous considérait d'un oeil méfiant. Hortense, si belle et si aimable, sut lui faire un grand sourire qui le remit d'aplomb. Répondant à son sourire, il vint prendre place à table, et se mit sans tarder, il n'y a pas d'autre mot, à bâfrer.
- Tè, il a bon appétit, notre pitchoun, il ne faut pas lui en conter. Au fait, chi pour conter avec des mots il est chouvent un peu nigaud, par contre pour compter avec des chiffres il en a dans le chiboulot. On peut lui demander n'importe quelle opérachion, même des multiplicachions avec des nombres de trois chiffres, et il donne auchitôt la choluchion, pourvu qu'on lui donne du papier et un crayon. Chi quelqu'un veut le techter pour voir ch'il réuchit?
  HV se lança.
- Combien font 99 fois 61, mon garçon?
  A peine la question achevée, le jeune homme s'escrima à griffonner maladroitement une sorte de charabia, puis il tendit sa feuille, apparemment fier du résultat.
  Voyant notre incompréhension, Ciboulette dut nous mettre sur la voie.
-  Je ne sais pas pourquoi, mais il écrit toujours comme ça, à l'envers, c'est peut-être une sorte de jeu.
  Elle retourna la feuille, où nous pûmes lire par transparence 6039, ce qui s'avéra, une fois vérifiée, la solution réelle.
- Si je me souviens bien, fit HV, ceci s'appelle écriture spéculaire, et son plus célèbre utilisateur a été Léonard de Vinci.
- Rien que cha! alors mon Léon est bien quelqu'un de prodigieux, perchonne ne pourra le nier.

  Visiblement émerveillée, Hortense poursuivit.
- On pourrait essayer 29 fois 139, maintenant, cher Léon?
  Son crayon désormais mieux assuré dans la main, Léon écrivit la bonne réponse de la même façon.

  Croissant en difficulté, le jeu continua de plus belle. Léon fournissait à chaque fois les bonnes réponses, fier comme un paon.
  Le limonadier retourna derrière son comptoir, pour s'occuper de la clientèle.
  Je me souviens de deux Algériens de passage. Ils commandèrent des pastis, ce qui étonna ma douce amie.
- Mais je croyais que les mahométans étaient abstèmes!
- On le dit, mais Mustapha et Ibrahim ont étudié en détail le Coran, et selon eux seuls le vin et l'alcool sont interdits, pas le pastis, en aucune façon.
  J'ai omis jusqu'ici l'inspecteur Chalin, lequel avait à peine prononcé quelques mots depuis notre arrivée à Marseille, et semblait avoir les plus grandes difficultés à s'adapter à son nouvel entourage.

  L'heure s'avançait, Ciboulette donna au garçon une musette contenant son repas, puis, dès qu'il fut sorti, nous supplia d'emporter quelques panisses qu'elle avait elle-même préparées, presque en pleurs.
  Dehors, Léon marchait nonchalamment, suivi par les deux agents marseillais qui surveillaient le bar, et nous leur emboîtâmes le pas, avec une certaine inquiétude.
  Le jardin Valmer était effectivement tout proche, formé de terrasses auxquelles on grimpait par des allées en spirale. La végétation y était dense et luxuriante, les arbres exotiques s'y élevaient au milieu de plantes inconnues, dans une folle exubérance qui me rappelait le Paradou de Zola.
  Léon s'était assis sous des arbres, au bout d'une allée. En s'assurant que nous pouvions parfaitement le surveiller de la terrasse sur laquelle nous nous trouvions, les agents s'arrêtèrent, nous en fîmes autant. L'un d'eux contourna le terrain par en-dessus pour avoir une autre vue sur l'orphelin.
  Les lieux étaient déjà occupés, par une forte Négresse, assise sur la pelouse, faisant le catéchisme à une ribambelle d'enfants café-au-lait.
- Combien tini personnes dans Bon-Dié?
- Tini trois, le Pè, le Fi, et le Saint-Esprit.
- Le Pè est-ce li Dié ?
- Oui, le Pè li Dié.
- Le Fi est-ce li Dié ?
- Oui, le Fi li Dié.
- Le Saint...
- Oui, ce sont des Martiniquais, expliqua notre compagnon. Beaucoup d'entre eux ont dû quitter leur île après la catastrophe de la Montagne Pelée, et ils se sont bien acclimatés à Marseille, où il fait si beau.
  De fait, il faisait une chaleur presque torride, alors que les douze coups de midi retentissaient au-dessus de nous, sonnés par les cloches de Notre-Dame-de-la-Garde.
- Dame! on dirait qu'il est par terre, le fada! Il nous aurait pas fait un vrai coup de vache? allons-y, faut voir ce que fait ce rigolo.
  Aussitôt dit, nous nous ruâmes vers le lieu, prestissimo. Mystérieusement, nous y trouvâmes le jeune homme allongé sur le dos, comprimant son ventre d'où coulait le sang sur le sol.
- Incroyable, fit l'autre agent en arrivant, je suis prêt à jurer qu'y avait dégun.
- Personne, traduisit son compère.
- J'en suis témoin aussi, dit HV, mais il faut d'abord s'occuper du garçon, sa blessure n'a pas l'air profonde, mais elle saigne beaucoup, et il faudrait la suturer d'urgence.
  Le jeune homme fut prudemment acheminé vers la route, porté par nous quatre, les hommes, tandis qu'Hortense lui épongeait le front avec un mouchoir humide, ce qui semblait lui être agréable. On héla un fiacre qui l'emmena aussitôt vers l'hôpital de la Conception.

  Il n'y eut pas de nouvelles avant le lendemain, où un chirurgien nous laissa entrevoir que Léon pourrait se rétablir, bientôt.
- Foie, reins, les viscères sont intacts, mais l'intestin a été légèrement touché, et si l'arme n'était pas stérile... - on devrait guillotiner les assassins malpropres deux fois.
  On nous autorisa à le voir, et le garçon avec un pauvre sourire fit signe qu'il voulait du papier et un crayon. Au prix de maints efforts, avant de replonger dans l'inconscience, il put tracer l'inscription que voici.
- N'est-ce pas le nom du dernier héritier, s'exclama Chalin, Vernona Ölm, mais comment se fait-il que ce demeuré le connaisse?
- Ce demeuré, comme vous dites, Victor, a démontré des qualités qui devraient nous inciter à la plus grande indulgence, d'abord envers les abîmes de notre inconnaissance.

  Les nouvelles du lendemain matin furent plus alarmantes, et peu après midi tomba la triste information qui devait clore définitivement notre roman marseillais.
  Morvan Léon était mort.

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